Le lundi 20 janvier, j’ai organisé au Sénat un colloque intitulé « Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030 : le choix du déni ? ». Celui-ci avait pour but de réunir des expert•es, acteurs et actrices du territoire et du sport afin de débattre sur l’organisation par la France des Jeux d’hivers dans les Alpes en 2030.

Débattre, discuter, c’est justement ce qu’il a manqué à cette candidature de la France qui a été décidée entre deux présidents de région. Alors que les enjeux sont multiples aujourd’hui pour nos montagnes, imaginer organiser un tel événement dans les Alpes en 2030 sans concertation et sans prendre en compte les réalités climatique et économique, c’est être totalement déconnecté des réalités.

J’ai donc souhaité pour ce colloque convier tout d’abord deux sénateurs de la régionThomas Dossus, Sénateur du Rhône, et Guillaume Gontard, Sénateur de l’Isère à modérer les deux tables rondes : 

  1. La première table ronde s’intitulait « Jeux d’hiver 2030 : un hors-piste financier et démocratique ? » avec Emmanuelle Bonnet Oulaldj, administratrice du CNOSF (Comité national olympique et sportif français) et de l’Agence Nationale du Sport ; Delphine Larat, juriste et co-rédactrice du rapport « J.O.P. D’hiver 2030, Alpes françaises » ;  Hugo Bourbillères, Vice-président délégué aux sports de l’université Rennes 2 et Maître de conférences en STAPS ; et Claudie Ternoy Leger, conseillère régionale écologiste en Auvergne-Rhône-Alpes.
  2. La deuxième table ronde s’intitulait « Les enjeux de la Montage en transition » avec Stéphane Passeron, ancien champion de ski de fond en équipe de France ; Nicolas Pellerin,  guide de haute-montagne et ancien secrétaire général du syndicat des guides de haute montagne ; et Fiona Mille, présidente de Mountain Wilderness France et gérante d’un gîte d’étape en Belledonne.

Un déni de démocratie 

La première table ronde a mis en évidence l’une des principales problématiques de la candidature des Alpes françaises : l’absence de concertation

Hugo Bourbillères, maître de conférences en STAPS, a posé les bases de la discussion en soulignant la singularité française dans l’organisation des grands événements sportifs. À l’international, de nombreuses candidatures ont été retirées sous la pression populaire : Budapest a abandonné son projet à la suite d’une pétition étudiante devenue un mouvement politique, Hambourg a renoncé après un référendum défavorable et Rome s’est retirée sous l’impulsion du Mouvement 5 étoiles. 

Plus de 80 % des référendums organisés sur ce type de sujets ont abouti à la victoire du « NON ». L’analyse des mobilisations révèle plusieurs facteurs déterminants : la possibilité juridique d’organiser des référendums, l’ancrage local de luttes antérieures, la capacité à politiser la contestation au-delà des enjeux d’aménagement urbain, ainsi que le rôle joué par les médias et les soutiens politiques. Ces éléments traduisent des dynamiques politiques complexes, qui mériteraient d’être prises en compte. Or, cette prise en compte est totalement absente en France. 

Emmanuelle Bonnet a notamment souligné que les acteurs et actrices du monde sportif n’ont à aucun moment été associés à la démarche d’accueil des Jeux d’hiver 2030. Cette absence de concertation interroge, d’autant que la question démocratique ne devrait pas être réduite à des contraintes de calendrier. Il est impératif de faire vivre le débat autour des Jeux, indépendamment de l’urgence de la candidature et des divergences d’opinions sur leur organisation. 

Ce déni démocratique se manifeste également dans la sphère politique. Au Sénat, aucun débat n’a été organisé sur la candidature aux JO 2030. L’initiative du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires visant à créer une mission d’information a même été rejetée. Au niveau régional, la situation est tout aussi préoccupante, comme l’a dénoncé la conseillère régionale Claudie Ternoy. Avant la publication du rapport de candidature, les élus n’ont jamais été sollicités pour en discuter. Pourtant, le groupe des Écologistes avait proposé une approche concertée et un projet de compromis.
Leur principale revendication était l’organisation d’un référendum régional afin de consulter les habitants sur l’accueil des Jeux en 2030, une initiative refusée par la majorité régionale. Il semblerait que cette « fête populaire » que représentent les Jeux ne soit pas jugée suffisamment populaire pour demander l’avis des 13 millions d’habitantes et habitants concernés par l’événement.

Un hors-piste financier

Un concept économique souvent mentionné par les experts est celui de la « malédiction du vainqueur ». Il désigne la situation où un pays ou une ville qui obtient l’organisation des Jeux Olympiques se retrouve ensuite à supporter des coûts bien plus élevés que prévu. Les études d’impact, censées évaluer ces coûts et bénéfices, ne permettent pas toujours d’identifier clairement qui en profite réellement et qui en subit les conséquences. Cela soulève des questions de redistribution des ressources et de justice sociale.

Par ailleurs, ces études présentent des limites méthodologiques importantes. Les économistes soulignent qu’elles ne prennent pas suffisamment en compte des facteurs clés comme l’inflation, le chômage ou encore certaines variables socioculturelles. Une comparaison entre les Jeux d’Albertville et ceux de Londres montre que ces éléments jouent un rôle crucial dans l’évaluation réelle des bénéfices d’un événement de cette ampleur.

L’un des principaux arguments avancés pour justifier l’organisation des Jeux est celui de l’héritage durable qu’ils laisseraient sur le territoire. Pourtant, cet impact n’est pas toujours positif. De nombreuses études, notamment sur l’Euro 2016 et les JO 2024, montrent que plus de la moitié des projets sociaux liés à ces événements ont été financés par les acteurs publics, en particulier en Seine-Saint-Denis. Cela signifie que sans une intervention forte de l’État et une réflexion approfondie sur l’intérêt général, les retombées positives des Jeux restent incertaines.

Dans le cas de la candidature des Alpes françaises pour les JO 2030, cette problématique est encore plus marquante. Le budget initial est estimé à 1,9 milliard d’euros, et rien qu’en 2025, la Région Auvergne-Rhône-Alpes prévoit d’y consacrer 2,3 millions d’euros pour la Solideo et 600 000 euros pour le COJOP. Pourtant, ce dernier n’a toujours pas de statut juridique défini.

Deux rapports de l’Inspection générale des Finances (IGF) alertent sur un risque de déficit massif. Selon eux, le budget du COJOP Alpes 2030 est largement sous-estimé, avec une prévision de déficit comprise entre 850 et 900 millions d’euros, un écart qui devra être couvert par les collectivités publiques.

Au niveau national, les garanties financières ont été signées par Michel Barnier le 2 octobre dernier. Peu après, le gouvernement a déposé un amendement visant à créer un nouveau programme « Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver 2030 », destiné à financer un établissement public similaire à la Solideo. Ce programme prévoit 20 millions d’euros d’autorisations d’engagement et 9,2 millions d’euros de crédits de paiement.

Cependant, Delphine Larat met en garde contre un problème de contrôle juridique, ce qui soulève des interrogations sur la légitimité de ces engagements financiers. Le modèle économique repose presque exclusivement sur le Comité International Olympique (CIO), dont l’objectif principal est la rentabilité. De plus, bien que la France n’ait aucune obligation légale envers le CIO, 63 % du budget du COJOP provient d’argent public, ce qui renforce les inquiétudes sur la charge financière supportée par l’État et les collectivités locales.

En résumé, les garanties financières reposent sur un budget prévisionnel insincère. Pire encore, le contrat final avec le CIO n’a toujours pas été signé, comme l’a justement souligné Delphine Larat. Ce flou budgétaire et juridique pose de sérieuses questions sur la viabilité et la transparence de cette candidature.

La Montagne en transition comme seule boussole

Derrière l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver, une question fondamentale mérite d’être posée : quel avenir pour les territoires de montagne ?

Le ski est une industrie majeure, avec plus de 55 millions de forfaits vendus chaque année. Pourtant, toutes les stations ne sont pas logées à la même enseigne : les stations de moyenne montagne souffrent particulièrement. Le réchauffement climatique dans les Alpes est deux fois plus rapide qu’ailleurs, avec déjà une hausse de +2°C. Si l’on se projette vers +4°C, il devient essentiel de réfléchir aux solutions d’adaptation. Avec seulement +2°C à l’échelle mondiale, 98 % des stations de ski ne seront plus viables.

Mais la montagne, ce n’est pas seulement le ski. C’est un territoire habité, où vivent des femmes et des hommes travaillant dans l’agriculture, l’artisanat, la culture et d’autres activités économiques. De nombreux villages reposent en grande partie sur l’existence des stations de ski. Lorsque la neige manque, c’est tout un écosystème qui s’effondre. Nicolas Pellerin l’exprime clairement : comment imaginer la suite ?

L’ancien skieur de fond Stéphane Passeron a livré un témoignage poignant. Il rappelle que critiquer ces Jeux ne signifie pas être contre le sport, mais bien mettre en lumière les difficultés majeures des villages de montagne : tourisme, logement, accès aux soins, transports… Dans les Alpes françaises, les prix de l’immobilier explosent, accentuant un phénomène de gentrification. L’organisation des Jeux entraînera une montée en gamme des territoires, rendant les logements inaccessibles aux habitants à l’année. Aujourd’hui déjà, la majorité des nouvelles constructions sont destinées aux résidences secondaires, mettant en péril la vie locale hors saison.

Au-delà de l’événement en lui-même, ces Jeux d’hiver auront des conséquences durables sur les territoires de montagne. À Chamonix, Albertville ou Grenoble, les éditions précédentes ont profondément transformé ces régions. Un événement de deux semaines seulement peut conditionner les politiques de montagne pour des décennies.

Les Jeux exercent une puissante influence culturelle sur les territoires. Mais aujourd’hui, une question se pose : est-il encore raisonnable de promouvoir une image de la montagne où l’on glisse sur de la neige artificielle ? Ces Jeux de 2030 tentent de faire rêver avec un imaginaire dépassé, celui d’une neige abondante et renouvelable, alors même que les réalités scientifiques le contredisent.

Pourtant, comme le souligne Fiona Milles, d’autres futurs sont possibles pour la montagne ! Ces territoires sont riches en biodiversité, en savoir-faire, en patrimoine, en énergie humaine. Réduire leur image aux seuls sports d’hiver est une impasse. Ces Jeux risquent de freiner la transition en concentrant plusieurs milliards d’euros sur quelques zones, au détriment de l’ensemble des Alpes françaises.

Guillaume Gontard cite l’exemple de Gresse-en-Vercors, mais de nombreuses communes sont surendettées, car le modèle économique du ski est à bout de souffle. Malgré des pertes financières massives, les investissements dans de nouvelles infrastructures continuent.

Le discours officiel affirme que 90 % des infrastructures existantes seront réutilisées. Mais en réalité, 80 % devront être rénovées ou reconstruites, car elles ne répondent plus aux normes actuelles.

Finalement, la transition des territoires de montagne ne se limite pas à l’écologie : elle concerne aussi l’économie et le social. L’organisation des Jeux 2030 pourrait freiner cette transformation pourtant indispensable.

Le combat continue.

Retrouvez ci-dessous 3 extraits des interventions et quelques photos :

Témoignage de Stéphane Passeron
Témoignage de Fiona Mille
Discours d’ouverture de Mathilde Ollivier