Par Mathilde Ollivier, sénatrice écologiste
Il y a des moments dans l’histoire où la politique prend la forme d’un avertissement.
Je pense sincèrement que nous y sommes.
Depuis plusieurs semaines, le spectacle que nous offre le bloc central et Les Républicains est absolument affligeant. Démission puis retour en grâce, participation sans soutien puis soutien sans participation, rupture dans la continuité… En somme, des injonctions contradictoires dont le seul véritable objectif est de se maintenir au pouvoir, quoi qu’il en coûte.
Un spectacle particulièrement navrant.
Mais quelle ne fut pas ma surprise de voir le Parti socialiste s’y engouffrer de son plein gré. En effet, les socialistes ont négocié une non-censure avec le Premier ministre, en échange d’une suspension de la réforme des retraites.
Les retraites : une victoire en trompe-l’œil ?
Voilà donc la « victoire » tant attendue. Les éléments de langage s’enchaînent, les visuels se multiplient.
Mais personne ne sait, à cette heure, dans quel cadre cette suspension s’appliquera. Une loi ordinaire ? Un amendement au PLFSS ? Pourtant, cette donnée est centrale.
Et pendant que cette incertitude règne, le ciel, lui, s’assombrit : les premiers enseignements du budget 2026 révèlent un gel des prestations sociales — notamment des pensions — ainsi qu’une sous-indexation des retraites jusqu’en 2030, bien au-delà de la simple « suspension » annoncée.
Alors oui, 3,5 millions de personnes gagneront peut-être trois mois de répit. Mais à quel prix ? À quel prix, si ce court sursis s’échange contre des coupes plus sévères encore ?
Le grand silence sur la justice sociale, fiscale et environnementale.
Le choix de la censure d’un gouvernement doit s’examiner sur le fond et sur l’entièreté du discours. Et que nous propose réellement le Premier ministre ? Une pause sur la réforme des retraites, tout en tapant encore plus fort sur tous les acquis sociaux et creusant toujours plus les inégalités. La priorité, elle est donnée, c’est celle de la sécurité et de l’ordre, alors que les ministères des armées et de l’intérieur seront les seuls à voir leur budget croître, tandis que les autres, tout comme les collectivités, subiront de lourdes coupes budgétaires. Pas un mot sur la loi Duplomb qui a fédéré plus de 2 Millions de Français dans son rejet, en plein cœur de l’été, un niveau jamais atteint pour une pétition sur le site de l’Assemblée nationale.
Alors, très bien, nous obtenons une brève pause dans la réforme des retraites. Mais qu’annonce-t-il pour le reste ? Quelles mesures concrètes pour le pouvoir d’achat ? Quelles avancées pour une contribution juste des patrimoines les plus élevés, par exemple ?
Le gouvernement refuse la taxe Zucman mais propose en échange une pseudo-taxe sur les patrimoines, vidée de sens et sans portée redistributive. En clair : on écarte la nécessité de recettes pour bricoler un symbole inoffensif au profit des puissants.
Voilà le « compromis » que propose la déclaration de politique générale du Premier ministre.
Place au Parlement… vraiment ?
Face à ce budget particulièrement dur, on nous rétorque : « compromis et pas de 49.3 ». Alléluia, après 8 ans de déni et de mépris, le débat se ferait au Parlement !
Mais ne jouons pas les naïfs. Il existe d’autres moyens, plus discrets, pour contourner le débat parlementaire. Nous savons à quel point la mécanique budgétaire peut devenir un instrument d’évitement démocratique.
Nous avons obtenu ces avancées importantes, réforme des retraites et 49.3, symboliques sur le fond comme sur la forme. Mais le triptyque macroniste, LR et RN saura se retrouver, comme dans le passé, pour refuser la taxe Zucman, pour réformer l’AME, pour cibler les étrangers ou encore pour aggraver les reculs écologiques.
Plusieurs stratégies s’affrontent, mais une ligne dangereuse se dessine.
Alors oui, plusieurs stratégies s’affrontent à gauche. C’est le signe d’un débat vivant, nécessaire. Mais une chose est sûre : la stratégie solitaire du Parti socialiste, préférant négocier avec les macronistes plutôt que de bâtir un rapport de force avec le reste de la gauche, est dangereuse — et profondément inquiétante.
Dangereuse, car elle légitime une minorité présidentielle à bout de souffle, incapable de gouverner autrement que par l’isolement et surtout incapable de lâcher leurs privilèges et leurs dogmes.
Inquiétante, car elle fragilise toute perspective d’alternative progressiste au moment même où l’union des droites, elle, s’organise.
Pendant que la gauche s’interroge, la droite se rassemble. Et ce déséquilibre n’est pas qu’une question de tactique parlementaire, mais bien de bataille culturelle.
Nous ne pouvons nous résoudre à ce que l’extrême-centre, devenu béquille du pouvoir, finisse par pousser la France dans les bras de l’extrême droite. Et là, les conséquences seront irréversibles.
La victoire n’est pas socialiste, elle est à l’Élysée.
Le plus grave, c’est que cette « victoire » n’est pas celle du dialogue, ni du pluralisme.
Elle s’est jouée dans les salons dorés de Matignon et de l’Élysée.
Le pari d’Emmanuel Macron et de ses proches — se maintenir au pouvoir malgré deux défaites électorales successives — semble en bonne voie. Et tant que la gauche dite « de gouvernement » préférera la stabilité basée sur des compromis plutôt que sur la clarté, au prix d’une politique d’austérité et de destruction des services publics, ce pari prospérera.
Pourquoi la censure s’imposait et s’imposera de nouveau.
Alors oui, la censure est inéluctable.
Ce choix finira tôt ou tard par refaire surface, non par esprit de rupture, mais par exigence de vérité. Parce que nous ne pouvons plus donner quitus à un gouvernement qui rassemble les mêmes profils et poursuit les mêmes politiques.
Je soutiens pleinement le choix de nos collègues du Groupe Écologiste et Social à l’Assemblée nationale qui, ce matin, ont très largement voté la censure.
Car censurer, c’est rappeler que la justice sociale, écologique et fiscale ne se négocie pas à la marge.
Censurer, c’est refuser de participer au spectacle affligeant que le pouvoir macroniste nous propose depuis des semaines maintenant.
Censurer, c’est un signal adressé à celles et ceux qui attendent autre chose qu’un entre-deux confortable : un vrai changement du et de la politique.
Mathilde Ollivier.





