Nous avons organisé une webconférence le lundi 14 octobre au Sénat sur la politique des visas, en présence de Juliette DUPONT, docteure en science politique.

Mathilde OLLIVIER, sénatrice écologiste des Françaises et Français établis hors de France a ouvert le webinaire « L’accès à la France en question : regards croisés sur la politique des visas » en soulignant l’importance cruciale de ce sujet pour nos compatriotes, leurs familles, et le rayonnement de la France.

Elle a, en premier lieu, présenté les défis majeurs auxquels est confrontée la politique française des visas, notamment la croissance de la demande, les évolutions réglementaires complexes, et la nécessité de trouver un équilibre entre sécurité et ouverture.

Elle a également évoqué les changements récents dans la gestion des visas, tels que l’augmentation des taux de refus et l’allongement des délais de traitement. Mathilde OLLIVIER a ensuite présenté les trois intervenantes et intervenants, puis rappelé que la politique des visas touche à des enjeux fondamentaux comme le droit à la mobilité et l’attractivité de la France, invitant les participantes et participants à des échanges constructifs.

Notre première intervenante, Juliette DUPONT, docteure en science politique de l’Université de Montréal et spécialiste des politiques migratoires européennes, a dressé un premier état des lieux de la politique des visas en France.

Elle a souligné que 80% de la population mondiale a besoin d’un visa pour entrer dans l’espace Schengen, et que depuis 2017, on observe une augmentation significative du taux de refus de visas, passant de 10% à 16% en 2023. Les délais de traitement se sont également considérablement allongés, passant de 2-3 jours avant la pandémie à 8-9 jours actuellement. Plus préoccupant encore, les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous peuvent s’étendre de 2 à 10 semaines, voire davantage dans certains cas.

Ce durcissement de la politique des visas s’explique par plusieurs facteurs. La pandémie de Covid-19 a entraîné une réaffectation des effectifs, perturbant le fonctionnement normal des services. Mais au-delà de cet aspect conjoncturel, Juliette DUPONT a mis en évidence une volonté politique claire de durcir la politique migratoire depuis 2017. Elle a également souligné le rôle du partage de la compétence visas entre le Ministère de l’Intérieur et celui des Affaires étrangères, avec une prédominance du premier, ce qui tend à favoriser une approche plus restrictive.

Les conséquences de ce durcissement sont multiples. L’accès au territoire français est devenu de plus en plus limité et fragilisé, et l’accès à la procédure de demande de visa elle-même s’est complexifié. Cet état de fait a entraîné une multiplication des interventions pour obtenir des visas, notamment pour les publics prioritaires comme les conjoints de Français. Juliette DUPONT a mis en lumière la situation particulière de ces derniers, qui bénéficient théoriquement de droits spécifiques en vertu du droit européen, mais font face à une réalité bien plus complexe, avec des inégalités de traitement selon les consulats.

Un autre aspect important abordé par Juliette DUPONT est la privatisation de l’accueil des demandeurs de visa. Aujourd’hui, 90% des demandes passent par des prestataires privés, ce qui soulève plusieurs problèmes : une distance accrue avec le service public, une confusion sur les responsabilités, et des inégalités d’accès selon les ressources des demandeurs.

Mélanie VOGEL, sénatrice des Françaises et Français établis hors de France, a ensuite apporté un éclairage politique sur la situation, en se concentrant sur la Loi immigration de 2024.

Elle a expliqué comment cette loi, fruit d’une alliance entre la majorité présidentielle et Les Républicains, a conduit à un durcissement général de la politique migratoire. La loi a notamment imposé des conditions plus strictes pour l’obtention des visas, des restrictions sur les visas étudiants, et n’a prévu qu’une régularisation très limitée des travailleurs sans papiers.

Mélanie VOGEL a souligné les conséquences préoccupantes de cette évolution législative, notamment la normalisation d’idées auparavant considérées comme relevant de l’extrême-droite, et une dégradation du droit du sol et des valeurs républicaines. Elle a également évoqué les perspectives inquiétantes pour l’avenir, avec l’annonce par Bruno RETAILLEAU, nouveau ministre de l’Intérieur (LR), d’un nouveau projet de loi pour 2025, laissant craindre une poursuite du durcissement de la politique migratoire.

Ramzi SFEIR, Conseiller des Français de l’étranger pour le Canada et Vice-président de l’Assemblée des Français de l’Étranger, a apporté un témoignage concret sur la situation au Canada et sur le bilan du groupe Écologie & Solidarité à l’AFE sur le sujet.

Il a relaté les difficultés rencontrées par les familles de Français pour obtenir des visas et a expliqué comment les élus se sont mobilisés pour défendre des dossiers individuels. Grâce à cette mobilisation, quelques améliorations ont pu être obtenues, comme la possibilité pour les conjoints de Français de déposer leur demande sans rendez-vous à Montréal. Ramzi SFEIR a insisté sur l’importance de faire respecter les droits des familles de Français et sur le rôle crucial des élus dans l’évolution des pratiques.

Les échanges et questions qui ont suivi ces interventions ont mis en évidence le besoin d’éléments factuels et scientifiques pour contrer les discours anti-immigration. Plusieurs participants ont souligné l’importance de l’attractivité économique et culturelle dans la politique des visas et ont partagé des témoignages sur les difficultés rencontrées dans différents pays comme l’Inde ou la Côte d’Ivoire.

Cette première webconférence a mis en lumière la nécessité de mener une bataille culturelle sur la question migratoire. Elle a souligné l’importance du rôle des Françaises et Français de l’étranger pour faire remonter les difficultés rencontrées sur le terrain et a insisté sur le besoin de continuer à échanger et à se mobiliser sur ce sujet crucial.

Face au durcissement de la politique des visas en France, ses causes politiques et administratives, de même que sur ses conséquences sur différents publics et notamment les familles de Français, tous les intervenants ont appelé à une mobilisation accrue des élus et à l’utilisation d’arguments factuels pour promouvoir une politique plus ouverte et respectueuse des droits.